Si une orque pouvait nous parler : un cri pour la mer en souffrance

Introduction

Je suis née dans une mer claire, il y a de nombreuses lunes. Le monde était alors encore rythmé par les marées et les chants, pas par vos moteurs. J’ai grandi au sein d’un groupe soudé, entre récits ancestraux portés par les clics de mes aînées et les éclats d’argent des harengs en fuite. J’ai connu les eaux froides du Nord, les fjords lumineux, les profondeurs pleines de vie.

Mais aujourd’hui, je ne comprends plus ce que je vois.


1. Vos voix couvrent les nôtres

Nos chants parcouraient jadis des kilomètres. Nous communiquions à travers les flots, transmettant nos souvenirs, nos stratégies, nos liens. Mais vos navires, vos sonars, vos forages… tout ce vacarme a couvert notre langue. Même les mères ont du mal à se faire entendre de leurs petits.

Nous sommes devenues sourdes les unes aux autres. Et parfois, le silence est plus douloureux que la faim.

Données réelles : Selon une étude de Williams et al. (2015), le trafic maritime a réduit jusqu’à 62% la portée des communications des orques résidentes du Sud en Colombie-Britannique.


2. Nos enfants ne vivent pas

J’ai perdu une fille. Je l’ai portée longtemps, jusqu’à ce que son corps me glisse. Elle n’avait pas de nom dans votre langue, mais pour moi, elle était l’écho de ma mémoire. Ce deuil, je ne l’ai pas vécu seule.

Ma cousine, dans un autre clan, a porté son petit mort pendant 17 jours. Elle l’a hissé sur son rostre, l’a empêché de couler. Vous l’avez appelée “Tahlequah”. Pour nous, elle est le souvenir vivant d’un amour que même la mort n’éteint.

Données réelles : En 2018, une orque nommée Tahlequah (J35) a été suivie pendant plus de deux semaines alors qu’elle portait son bébé mort sur plus de 1 600 km, un comportement interprété comme un deuil.

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3. Vous videz nos garde-manger

Les harengs sont partis. Les saumons aussi. Nous savons qu’ils étaient votre nourriture aussi, mais vous avez oublié que nous les partagions.

Quand une mère ne peut plus nourrir son petit, elle ne pleure pas. Elle se tait. Et se tait encore. Jusqu’à ne plus chanter du tout.

Données réelles : La disparition progressive du hareng en Norvège, notamment depuis 2008, a fortement affecté les orques migratrices qui en dépendent. (Institute of Marine Research, Bergen, 2021)


4. Vos filets sont invisibles pour nous

Nous ne connaissions pas vos pièges. Aujourd’hui, nous devons les deviner. Certains d’entre nous s’y empêtrent, d’autres en meurent. Les ancres, les cordages, les plastiques — ce sont vos souvenirs laissés dans la mer. Nous n’en voulons pas, mais ils s’accrochent à nos nageoires.

Données réelles : L’étude Plastic Entanglement in Marine Mammals (Kühn et al., 2015) a démontré que les orques font partie des espèces victimes d’enchevêtrements accidentels, en particulier dans les zones côtières.


5. Pourtant, certains vous écoutent encore

Il y a des humains différents. Ceux qui coupent les moteurs, qui nous observent sans nous traquer. Ceux qui expliquent aux autres que nous ne sommes pas des monstres, ni des jouets. Ceux qui essaient de nous rendre la mer.

À ceux-là, nous disons merci. Et à tous, nous disons : il est encore temps.

Nous ne demandons pas la pitié. Nous demandons l’écoute. Nous voulons nager sans bruit, manger sans peur, transmettre nos chants sans échos vides.

Car si vous disparaissez, nous perdrons aussi nos histoires. Et si nous disparaissons, qui vous chantera encore les vôtres ?


Conclusion

Ce texte n’est pas une fable. Il est inspiré de faits réels, de données scientifiques, d’histoires vécues. Mais il parle à un niveau plus profond : celui du lien. Le lien que nous avons perdu avec les océans. Le lien que nous devons reconstruire.

Et vous, seriez-vous prêt à écouter ce que la mer essaie de dire ? Éteignez le bruit, approchez en silence… et peut-être entendrez-vous, quelque part, l’écho d’un chant d’orque.

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